| Hazoun | | On se calme et on boit frais | | Visiteur | | 352 messages postés |
|  Posté le 11-03-2004 à 15:08:43    
| Highlands, nord de l'Ecosse, le 13 février 1962...
Emile Hazoun reprenait peu à peu connaissance. Il ne savait plus très bien où il était mais des bribes partiellement intelligibles lui parvenaient, aussitôt transformés par son inconscient. Il y avait une flamme en suspension dans l'air. Une flamme bleue, glaciale, à environ un mètre trente au dessus du sol. Bizarrement, la première question qui lui vint à l'esprit du journaliste était de comprendre quel combustible serait susceptible de produire une telle flamme. Etrange sensation que de se retrouver entre deux eaux, comme transporté dans une vie parallèle alimentée par son inconscient. Ce devait être cela que Freud appelait "l'inquiétante étrangeté".
La flamme se parait tour à tour de reflets fugitifs où l'on pouvait discerner des visages comme distordus par la douleur au travers des langues de feu serpentines. Le feu l'appelait à lui et cet appel était irrésistible. Hazoun se leva, surpris de constater que cela ne nécessitait pas le moindre effort physique. Il était à présent comme détaché de lui même et tout allait incroyablement vite.
Il laissait son corps "matériel" étendu sur un lit, dans une pièce qu'il ne reconnaissait pas, entouré de silhouettes encapuchonnées de bure qui échangeaient des paroles inintelligibles à voix basse. D'où il se tenait, tout lui semblait incroyablement futile. Il aurait sans doute aimé que cet instant s'éternise mais l'appel impérieux de la flamme qui perçait les murmures feutrés de l'assistance n'avait pas cessé. Hazoun se rapprocha. Il se sentait léger. C'était donc cela le voyage astral ? Combien d'ouvrages décrivant cette expérience avait-il pu lire ? On en trouvait des descriptions dans pratiquement toutes les cultures. Et à présent qu'il lui était donné de partager ce phénomène mystique, il n'avait même pas le temps d'essayer d'analyser proprement ses sensations. Sur ce plan de réalité, la flamme avait changée d'aspect pour se parer d'une large palette de teintes minérales embrassant la gamme des verts jusqu'aux violets. Il y avait une impression de profondeur et des scènes animées lui étaient données à voir.
Quel était ce monde dont lui parvenait des échos ?
- Mon fils, vous voilà de retour parmi nous. Un instant, nous avons bien cru vous avoir perdu et que le seigneur dans sa grande sagesse vous avait rappelé auprès de lui mais il faut croire que votre heure n'était pas encore venue.
Emile Hazoun, sur sa demande, se trouvait de nouveau dans sa chambre. Les moines pensaient qu'il se reposait. En réalité, attablé, il tentait de retranscrire avec frénésie et moults détails l'expérience qu'il venait de vivre. Puis dans un geste rageur, le journaliste jeta sa plume sur ses notes. « Mes écrits n'ont aucun intérêt »Songea t il. Emile n'arrivait pas à exprimer, et ce malgré son indéniable talent de narrateur, son étrange « voyage ». De plus qui le croirait ? Il ne s'expliquait pas le phénomène lui-même, et ses causes semblaient plus obscures encore. Alors comment lui donner la moindre crédibilité scientifique ?
Le journaliste se massa le front, signe chez ce grand homme, d'un mélange de réflexion et de perplexité. Cet endroit recelait d'une... magie. Le mot gênait un adepte du rationalisme comme lui, mais il n'en trouvait pas d'autre. Il trouvait ces moines de moins en moins catholiques. Cette réflexion le fit sourire. Il se leva afin de décontracter ses muscles noueux pour finalement s'allonger. Sous le poids de son corps, les draps émirent un son de froissement. Intrigué, Emile chercha et trouva son origine. Un bout de papier se trouvait sous la couverture. Griffonné à la va vite, il put lire ceci :
« Partez vite. »
Puis en guise de signature :
« Ph'ngloui mglw'nafh Cthulhu R'Iyeh wgah'nagl fhtagn. »
La simple lecture de cette phrase provoqua un frisson qui parcourut Emile Hazoun des pieds à la tête. Un extrait du Nécronomicon, le livre indispensable pour ses recherches dans le domaine de l'occultisme. Mais qui pouvait lui adresser un tel message, et oser citer un passage de ce livre mille fois maudit ? Aucun religieux n'oserait jeter un simple regard sur la couverture de cet ouvrage. Le jeune investigateur plia soigneusement ce précieux trésor, et l'inséra dans sa chaussette.
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