| Hazoun | | On se calme et on boit frais | | Visiteur | | 352 messages postés |
|  Posté le 05-02-2004 à 16:58:31    
| Une étrange odeur d'iode commença d'envahir la pièce. Il pensa qu'il s'agissait d'un phénomène de rémanence des événements de la nuit passée. Emile Hazoun se figea. Un silence absolu s'était fait dans les lieux saints. Une sensation se développait en lui, de plus en plus désagréable. Comme s'il n'y avait plus de couloirs, d'abbaye, comme si, soudain, il était seul au monde. L'univers semblait s'être contracté, réduit à la dimension de cette pièce unique. Il y avait comme des bruits de grattement, de griffures, derrière les murs. Le journaliste s'approcha de la vieille pierre. Dans la pénombre, elle pulsait d'un lent battement cardiaque qui peu à peu s'anima, devint menaçant. Les murs se rapprochaient, convergeaient sur lui. Emile Hazoun poussa un cri de terreur et tomba inanimé sur le sol de la cellule.
Quelques semaines plus tôt, à bord de la "Grande Gigue"
Le commandant Lebihan était ce que l'on peut qualifier, à proprement parler, un vieux de la vieille. En d'autres termes, il en avait vu des vertes et des pas mûres. Il avait fait ses classes dans la Navale, à la dure. En quarante, alors qu'il n'était qu'aspirant, il avait refusé de plier devant "l'envahisseur teuton" tel qu'il aimait à le désigner. Il avait continué la lutte en Angleterre, aux côtés du Général. Lors du débarquement, il avait été aux premières loges.
Il aurait pu, au moment de prendre sa retraite, se satisfaire d'une substantielle pension de l'armée. Mais cela ne pouvait convenir à un homme de sa trempe. L'odeur de la "grande soupe", le fouet des embruns lui étaient aussi indispensables que l'air chargé de sel qu'il respirait. Alors, de hobby, son goût pour l'océanographie était devenu une vocation. Il avait repris du service, dans le civil, en tant que commandant de la "Grande Gigue", navire d'exploration scientifique. Pour l'heure, le grand bateau était à l'arrêt relié par un câble comme un fœtus à sa mère au bathyscaphe "Fandor". La descente se poursuivait entre les parois du Rift Atlantique.
Lebihan entra dans la cabine radio. René Moine, l'ingénieur chargée des télécommunications, était penché sur le poste, les mains crispées sur les écouteurs. A ses côtés, Brumaldi, le responsable scientifique, les mains agitées de soubresauts nerveux. Katchurian, le second était également présent. Le commandant les salua silencieusement.
Le commandant l'interrogea :
- Quelles sont les nouvelles ?
- RAS. Ils ont atteint le niveau plancher.
- Vous pouvez les passer sur les haut-parleurs ?
- Oui. Mais cela risque d'être assez désagréable, la ligne est parasité.
Lebihan lui répondit sèchement, traduisant sa nervosité :
- Nous sommes reliés par câble, vous devriez les recevoir cinq sur cinq. Capitaine Macquart, m'entendez-vous ?
Une voix saturée par les parasites résonna dans la cabine :
- Ici le capitaine Macquart. La liaison est très mauvaise... Nous allons essayer de décrire l'univers qu'il nous est donné de découvrir... C'est ahurissant, en quelques heures, nous avons eu l'occasion d'observer des dizaines d'espèces nouvelles. Des calmars, des baudroies... ces créatures sont effrayantes, on les croirait toutes droit sorties d'un cauchemar. Elles possèdent des pseudopodes phosphorescents pour se guider dans la nuit perpétuelle qui règne ici. Nos projecteurs ne semblent pas les effrayer... Attendez, Vlakov a repéré quelque chose... Il me fait des signes. Mon Dieu, c'est...
Sa voix fut couverte par un bruit parasite.
Le commandant tenta de reprendre le contact :
- Macquart, est-ce que vous m'entendez ? Macquart, répondez, bon sang !
La communication fut coupée pendant de longues minutes. Enfin, la voix du capitaine se fit de nouveau entendre :
- Je ne peux croire ce que j'ai vu... Sur le moment nous avons pensé que c'était une créature humanoïde... mais ce sont des statues... le fond de l'océan est couvert de statues. Elles sont gigantesques... au moins trente mètres... de facture aztèque, ou quelque chose comme ça. Des êtres mi-hommes mi-démons. Certaines ont des têtes de reptiles, grimaçantes... Je ne sais même pas si c'est fait de main d'homme. Et... il s'est produit un autre phénomène.... une sorte de gaz rampant, verdâtre, s'est infiltré à bord...
Lebihan intervint :
- A cette profondeur c'est impossible... la moindre fissure dans la coque provoquerait la contraction du Fandor... Ils seraient broyés.
Un tic nerveux agitait le visage de Brumaldi. Il réajusta ses lunettes embuées pour crier d'une voix défaillante :
- C'est l'ivresse des profondeurs ! Ils sont victimes d'hallucinations...
Lebihan lui intima l'ordre de garder son calme du plat de la main.
- Macquart, ici le commandant Lebihan. Entamez la remontée selon la procédure standard.
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